Les
soldats étaient confrontés à la mort tous les
jours, et ils priaient pour le salut de leur âme quotidiennement,
espérant être accueillit dans un monde meilleur symbolisé
par le paradis. Leur foi les poussa à créer des lieux
de culte à l'intérieur même des carrières
souterraines. Le plus souvent, ces lieux de prière étaient
faits d'un autel et de mobilier démontable qui n'ont pas laissé
de traces.
Cependant, les soldats réalisèrent également
des chapelles souterraines dont les autels
étaient sculptés à même les parois des
creutes du soissonnais. Ces véritables monuments
historiques en souterrain sont plus ou moins élaborés
et ornementés. Les autels souterrains de grandes
tailles sont l'œuvre de sculpteurs professionnels faisant partie
des régiments. L'ornementation mélange les symboles
religieux (croix, calice, hostie, colombe, bible...) et militaires
(blason, feuilles de laurier, épée ...).
Ces chapelles étaient utilisées pour les prières
quotidiennes mais également à titre plus exceptionnel
pour célébrer les grandes fêtes religieuses comme
Noël et Pâques. Pour l'occasion un prêtre faisait
le déplacement. La salle devant l'autel, qui faisait office
de chapelle, était décorée de branches de sapins.
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Dans
la carrière du "1er Zouave", toujours sur
le site de Confrécourt, se trouve une seconde chapelle
souterraine possédant un autel beaucoup plus ornementé.
Elle se nomme la chapelle du "père
Doncoeur" qui officia ici pendant la guerre.
Paul Doncoeur est un jésuite qui devint
aumônier militaire en 1914. Il participa aux batailles
de la Marne, de l'Aisne, de Champagne et de Verdun. Il fut
grièvement blessé dans la Somme. Par la suite,
il rejoint ces régiments pour les combats de Reims,
des Flandres. Sa bravoure et son dévouement pour assurer
une sépulture chrétienne aux soldats morts au
champ d'honneur, lui vaudront une renommée immense
: sept citations, la croix de guerre, la légion d'honneur.
Cet autel fut sculpté par les 35e et 298e régiments
d’infanterie en 1914. Il est écrit au dessus
une inscription patriotique : "Dieu protège la
France". De la sanguine fut utilisée pour colorer
les rayons du soleil entrant dans la riche ornementation de
cet autel. A droite, un escalier permettait d'accéder
directement aux premières lignes.
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Officier
à cheval (carrière des Chauffours) |
Portrait
d'un colonel avec son col de veste |
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Soldat
dans sa tranchée munit de son sac et son fusil |
Portrait
d'un poilu avec son calot |
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Autels allemands :
On
peut noter également la présence d'un très
bel autel religieux, surnommé l'autel
de l'éléphant, qui possède
une architecture très épurée. Il est
structuré par la présence de quatre petites
colonnes. C'est une des rares chapelles souterraines allemandes
encore en état dans la région. L'ensemble
est taillé dans un pilier tourné carré,
ce qui est inhabituel et un peu inconscient ! En général
les chapelles souterraines sont sculptées dans le
front de taille, ce qui présente moins de risque
d'effondrement. Malheureusement
cet autel a subit des dégradations:
- tout d'abord à la fin de la guerre via le burinage
de l'inscription inférieure. Les militaires français
avaient sans doute un désir de faire disparaitre
les traces de la présence allemande laissées
par ces combats sanglants. Une photographie d'époque
illustrant une messe donnée par les français,
devenus maîtres des lieux, renforce cette hypothèse.
En effet, on distingue clairement qu'un drapeau français
camoufle l'inscription du bas, qui ne devait pas être
d'ordre religieux mais plutôt un symbole allemand.
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La partie supérieure à été
chaulée, comme l'ensemble
de la carrière, lors de la reconversion en champignonnière
datant sans doute de l'entre-deux guerre. Néanmoins
cela a été fait avec un certain respect
car les colonnettes n'ont pas été chaulées,
ce qui contribue à les faire ressortir.
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Plus récemment lors des années 90, avec
un vandalisme gratuit qui a endommagé
les colonnes. (Elles sont réparées "virtuellement
sur le cliché ci-dessous).
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Autel
de l'éléphant aujourd'hui après
restauration numérique.
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Cérémonie
religieuse, célébrée par les français,
devant l'autel de l'éléphant. |
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Dans
la même région se trouve un deuxième autel
allemand de facture relativement similaire, ce qui laisse
penser qu'ils sont contemporains l'un de l'autre. Ces deux
chapelles sont peut être l'œuvre d'un même
groupe de sculpteurs. Sur la partie basse de l'autel est gravé
le monogramme IHS, signifiant en latin :
Iesus Hominum Salvator, c’est à
dire "Jésus Sauveur des Hommes".
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On observe
également un cadre situé dans la partie gauche,
dont l'intérieur a été buriné
sans nul doute par les soldats français. Deux photos
anciennes permettent de découvrir ce contenu. Il
y était écrit en allemand "Erbaut
19 nov. 1915 RIR 30. 7 Komp.", signifiant
"construit le 19 novembre 1915 par le 30ème
régiment d'infanterie de la 7ème compagnie".
La photographie de gauche montre les deux sculpteurs allemands,
ayant réalisé l'autel, avec leurs outils à
la main (Maillets et ciseaux à pierre droit). Juste
en dessous de cette inscription était peint en noir
la croix de fer allemande.
Signalons
enfin, que cette œuvre d'art en carrière a malheureusement
subit également un dégradation d'une de ses
colonnes.
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L'Autel
aujourd'hui après restauration numérique |
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Les
deux sculpteurs posant fièrement devant leur réalisation.
(Coll. Malinowski) |
Messe
de noël célébrée devant ce même
autel. (Coll. Malinowski) |
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Autel des Chauffours et Cie :
Une
chapelle souterraine
a été aménagée afin de prononcer la messe et les obsèques
des hommes morts au front. La messe était officiée
tous les dimanches par le père Bargeon. Aumônier
militaire, il venait également aux Chauffours pour
réconforter les soldats. Cette chapelle abrite un autel surmonté
de deux petites niches qui devaient abriter des statuettes
de Saints. À gauche de l'autel, un reposoir servait de support
à une statue aujourd'hui disparue ! Ce type d'autel
souterrain n'est pas unique en Picardie et servait également
à célébrer les fêtes religieuses, comme Noël ou Pâques.
À coté de l'autel se trouve un tableau avec les soldats tués
aux champs d'honneur.
Certains
d'entres eux furent enterrés dans un cimetière
temporaire situé aux Chauffours. Malheureusement
il ne reste quasiment rien de ce lieu. Après la guerre
un certain nombre de morts furent transférés
dans d'autres cimetières militaires. Les quelques stèles
gravées qui restèrent sur place furent pillées
au cours des années 90, par des collectionneurs.
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Autel
souterrain des Chauffours.
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Plaques
gravées des soldats morts au Champ d'Honneur |
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Autels des chasseurs alpins :
Dans
une carrière du chemin de Dames, deux beaux autels
ont été sculptés à un an d'intervalle.
Le
premier est de taille modeste et relativement sobre. Il a
été inauguré le 18 Juin 1915, par le
2ème bataillon de la 67ème infanterie, comme
on peut le lire sur la plaque commémorative située
à gauche de l'ouvrage. Sous la tablette de l'autel,
on peut lire deux initiale "BS" attribuable sans
doute à l'artiste. Au ciel de la carrière, une
petite hirondelle survol la croix. Cet oiseau migrateur symbolise
le renouveau lors de son retour au printemps. Il faut mettre
ce symbole en parallèle de la "renaissance au
paradis après la mort". Enfin, on peut remarquer
que le sol de la carrière a été sous-baissé
postérieurement à l'édification de l'autel.
La différence de niveau a été comblée
par l'ajout de quelques moellons.
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Vue
générale de l'autel.
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Détail
de la crois sculptée et des initiales possibles
du sculpteur. |
Plaque
commémorative. |
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Un
Deuxième autel, plus richement décoré,
a été érigé par le 1er bataillon
de Chasseurs alpins en 1916, comme l'indique la plaque située
à droite de l'ouvrage. De nombreux symboles ont été
sculptés :
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de chaque coté deux soldats prient. Un poilu avec
son casque, à gauche, et un chasseur alpin, reconnaissable
à son béret, à droite.
-
plusieurs symboles religieux : le calice avec l'hostie,
la bible et son rameau d'olivier. On peut noter la présence
de l'inscription "credo" qui
signifie "je crois" en latin. Dans la religion
catholique, il est le premier mot et le nom du symbole des
apôtres, qui contient en douze articles les dogmes
principaux de la foi.
-un
bas relief composé de palmiers évoquent sans
doute les batailles coloniales auxquelles ont participés
les chasseurs alpins avant la guerre.
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Vue
d'ensemble de la chapelle souterraine des chasseurs
alpins |
Calice
et l'hostie |
Chasseur
alpin priant. |
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Autel du PC Reboul :
Cet
autel, construit en trois phases (juin 1916, automne 1916
et janvier 1917), est sans doute celui le plus travaillé
que l'on puisse trouver dans les carrières du Soissonais
lui donnant un aspect quasi baroque. Il est l'œuvre de
4 sculpteurs dont un architecte (L.Lecler, L.Chavalan, Th.Roure,
A.Livebardon). L'emploi de sanguine renforce cette impression
surchargée.
- Il est intéressant de remarquer que les symboles
militaires sont très présents : de
nombreux blasons évoquant les 4 régiments
d'infanteries (16e, 97e, 98e, 264e, 265e) accompagnés
des noms des grandes batailles auxquelles ils ont participé.
Les soldats du 98e régiment étaient des chasseurs
alpins, comme l'évoque discrètement le petit
chamois sculpté.
-
Les symboles religieux sont au final minoritaire dans cette
réalisation. Le calice est l'hostie sont présents
à la base de l'autel. Une épitaphe rehaussée
de sanguine surmonte l'autel "Vive le christ
qui aime les Francs". A la base de l'autel
se trouve deux baïonnettes et une épée
qui représentent subtilement le "Chrisme".
Le chrisme est un symbole chrétien formé des
deux lettres grecques X (chi) et P (rhô), la première
apposée sur la seconde. Il s'agit des deux premières
lettres du mot "Christ" quand il est écrit
en grecque.
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Vue
d'ensemble de la chapelle.
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Le
chrisme |
Détail
des symboles des chasseurs alpins. |
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Autel de la creute de Rouge-Maison
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Cette
creute abrite une chapelle située dans une niche en
demi-cercle de 70 m2. Elle devait abriter un autel en bois
ou en pierre de taille qui a aujourd'hui disparu. Il reste
néanmoins sur les parois de la salle 18 sculptures,
pour la plupart à connotation religieuse, exécutées
par les 1er et 3e bataillons du 137e Régiment
d'infanterie français en octobre 1917.
Parmi les sculptures on peut citer; une table des Dix Commandements,
des calices avec hosties rayonnantes, un Sacré Cœur
flamboyant, l'alpha et l'oméga étant la première
et de la dernière lettre de l'alphabet grec classique
(ce qui symbolise le commencement et la fin de tout), un calice
surmonté d'un hostie, un crucifix, le poisson d'avril
Chrétien évoquant la pêche miraculeuse
du Christ, un profil du Christ, un bénitier ornementé
de feuille de lierre, des palmes de Jérusalem, l'étoile
du berger.
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Vue
d'ensemble de la chapelle en demi cercle. |
Portrait
du christ. |
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Le
poisson chrétien |
Crucifix |
Le
bénitier |
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