Introduction aux Creutes lors de la 1ère guerre mondiale ...

 

"C'est dans la région de l'Aisne, où l'ennemi s'est accroché depuis des mois aux falaises rocheuses. En face de lui, autant et mieux que lui, nos troupes se sont adaptées à l'étrange vie souterraine des troglodytes... Un tournant brusque et voici qu'une gueule sombre s'ouvre devant nous, dans un chaos de blocs de pierres. La grande carrière est là. Elle abrite maintenant 2 compagnies d'infanterie française. Comme dans les catacombes romaines, des galeries s'ouvrent. L'allée principale se ramifie en couloirs irréguliers qui descendent jusqu'aux salles profondes, voici à notre droite le cercle des officiers, à gauche la cambuse du fourrier... Un abri sec, de la paille, quelques meubles, du feu, c'est le grand luxe pour ceux qui reviennent des tranchées. A l'issue d'un couloir, soudain apparaît une des grandes salles. Sur la paille, abondamment jetée, des hommes reposent déjà. C'est la compagnie qui a veillé et combattu dans les tranchées de première ligne. Les soldats ont sombré dans le sommeil... D'autres jouent aux cartes. Des bougies piquées ça et là éclairent leur visage... Quelques-uns profitant d'un rai de lumière, écrivent, ayant leur sac comme pupitre sur les genoux."

Julien Tinayre, le 23 Janvier 1915, dans l'Illustration


Entrée de la creute des Chauffours (photo Suri)

Définition d'une "Creute":

Le terme de Creute (parfois écrit Creutte) est utilisé en Picardie, surtout autour du chemin des dames autour de Soisson. Il est souvent utilisé au pluriel; "Les Creutes". Ce terme désigne deux choses différentes :

Les Creutes sont des carrières, des plateaux calcaires du Soissonnais et du Laonnois, qui furent exploitées des le Moyen-âge pour leur pierres calcaire sur une hauteur d'environ 3m. Elles sont appelées plus rarement "Boves" dans le patois de Picardie. Dans un premier temps leur exploitation étaient artisanale et à l'échelle familiale. L'exploitation est alors menée par piliers tournés très irréguliers, laissant des fronts de taille perforés de trous. Les blocs extraits sont très allongés.
A partir du 19ème siècle les autorités encouragent la reconstruction des maisons de torchis en pierres de taille. L'objectif est de limiter les incendies. Les anciennes exploitations souterraines sont réactivées et la production s'organise sous forme de petite entreprises locales. Un banc supplémentaire, d'une hauteur de 2m, est de nouveau exploité.
On extrait alors des blocs plus volumineux et carrés.

Coupe géologique du Noyonnais (J.Y Bonnard)
Bloc de calcaire carré, sortant des carrières d'Autrèche.(coll. Guenaff-Bonnard)
 
Front de taille traditionnel à blocs allongés et percé.
Atelier de taille avec des blocs massifs et carrés.
 
Le terme de "Creutes" désigne également, pour les habitants locaux, les "grottes" qui font référence aux grottes habitées par nos ancêtres (Terme qui normalement est attribué à une cavité naturelle). On associa aussi le mot creute à une habitation troglodyte, qui était construite à la sortie d'une petite carrière. Ce type d'habitation évoque également la précarité des gens qui y logent, souvent marginalisés.

Creute habitée près de Laon au début du 20ème siècle.
Quartier des creutes à wissienicourt

 

 

L'occupation militaire des Creutes :

Lors de la première guerre mondiale, les poilus et les soldats allemands utilisèrent ces carrières comme abris. Ces creutes devinrent des lieux de cantonnement pour des régiments entiers. Les soldats y aménagèrent un certains nombres d'infrastructures (chambres, appartements d'officiers, infirmerie, cuisine ...) dont certains vestiges nous sont miraculeusement parvenus. Progressivement les alentours des creutes furent également structurées par les poilus afin de surveiller les entrées et de les relier aux tranchées. Enfin, les longues périodes d'attentes furent propices à l'apparition d'œuvres artistiques réalisées sur les parois des carrières (sculptures, graffitis et chapelles souterraines).

Cette occupation humaine des carrières contribua à faire évoluer le sens du mot "creute" dans le langage militaire. C'est le deuxième sens du mot "creute" qui va être retenu par l'histoire et qui met en avant l'occupation humaine d'une carrière. Les logements officiers, proches des entrées et en pierres de taille, contribuent à entériner cette connotation "troglodytique". D'autre part, les conditions d'hygiène déplorables (humidité, surpopulation...) qui règnent dans ces creutes, renvoient à la notion de précarité évoquée plus haut.

Le terme de Creute est aujourd'hui associé, dans l'esprit collectif, à l'histoire des militaires de la première guerre mondiale. Ils désignent toutes les carrières souterraines le long du "Chemin des dames" qui furent occupées par les militaires lors de la première guerre.

creute allemande

creute carriere
Creute allemande lors de la première guerre mondiale après 1916.
Anciens appartements d'officiers dans la carrière des Chauffours