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L'art
des poilus en carrière, lors de la 1ère guerre mondiale
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Les
soldats français et allemands cantonnés dans les carrières
souterraines des journées entières en attendant la montée
au front laissèrent de nombreuses sculptures, dessins et graffitis
sur les murs des creutes. La majorité de ces traces sont situées
à proximité des entrées afin de bénéficier
de la lumière du jour pour sculpter. Parfois, ces témoignages
de leur passage prennent la dimensions de véritables œuvres
d'art et son réalisées par des sculpteurs professionnels
faisant partie des soldats engagés dans cette guerre. L'inspiration
des soldats s'inscrit dans quatre thématiques principales :
la guerre, la religion, les femmes et la patrie.
Ces
témoignages ont été laissés par les soldats
français, allemands et américains. Ce patrimoine a été
fortement endommagé au courant des années 80 suite à
une vague de collectionneurs d'objets militaires connue sous le nom "militaria".
De nombreuses sculptures ont été littéralement
découpées dans les parois des carrières sans
aucun scrupule ! Aujourd'hui les sites les plus remarquables ont été
protégés, classés à la liste des monuments
historique et sont gérés par des associations de la
grande guerre 14-18.
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«Plus tard, dans plusieurs siècles, quand
quelque mouvement de terrain aura enseveli la carrière et ses
ornements sculpturaux, j’imagine que l’archéologue
qui les découvrira enverra à l’Académie
des Inscriptions quelque volumineux mémoire où il démontrera
que ce sont là des œuvres manifestes de l’âge
des cavernes, de l’âge où l’humanité
n’était pas encore civilisée et croupissait dans
la plus stupide barbarie. Ce ne seront, au vrai, que des souvenirs
de l’âge des casernes, mais, pour le second point, notre
archéologue n’aura pas tout à fait tort. »
Charles Nordmann du 5e régiment d’artillerie
, 1917.
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Symboles
militaires :
Un
des thèmes principaux qui apparait dans les sculptures et graffitis
est la guerre. Ce n'est pas étonnant sachant
que l'armée, les combats et les batailles fut le quotidien
de ces hommes pendant plus de trois années.
Le
plus souvent, on trouve inscrits le nom des régiments,
des bataillons auquel faisait partie les soldats. Ces
informations sont laissées sous forme d'une simple écriture
au fusain, d'une gravure ou encore d'un bas relief incluant des ornementations.
Ces noms sont hautement symboliques car ils matérialisent l'appartenance
à un groupe, souvent plus forte que l'individu lui même.
D'autre part c'est une trace laissée aux visiteurs qui prouve
l'existence de ces hommes qui ne sont parfois pas revenus vivants.
Elles ont une fonction commémorative, une façon pour le poilu
de dire " j'existe, je suis vivant au delà de la mort".
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Blason
du 35ème régiment d'infanterie (Confrécourt)
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Régiment
de la 103ème infanterie |
Feuille
de laurier (creute Soissonnais) |
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Plus
rarement, on trouve des sculptures et des dessins d'importances variables.
On peut distinguer à nouveau deux catégories de représentations
:
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Certaines représentations sont concrètes et illustrent
des éléments réalistes du quotidien
: soldats, officiers et scène de combat. L'ennemi, dans les
deux camps, est souvent représenté de façon caricaturale
ou en position de faiblesse. Ces représentations reprennent
souvent les images véhiculées par la propagande de l'époque.
Lorsque les sculptures de personnages subissent une dégradation,
ce sont le plus souvent les visages qui sont détruits. Sans
doute car le visage est la partie la plus symbolique de individu.
Cette pratique n'est pas sans rappeler les statues de saints décapités
à la révolution !
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Portrait
d'un allemand avec son casque à pointe
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Caricature
d'un allemand à tête de sanglier |
Portrait
de Zouave |
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Officier
à cheval (carrière des Chauffours) |
Portrait
d'un colonel avec son col de veste |
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Soldat
dans sa tranchée muni de son sac et son fusil |
Portrait
d'un poilu avec son calot |
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D'autres représentations sont de l'ordre de la symbolique
de guerre. Les symboles sont souvent anciens
et liés au corps militaire, notamment issu des armées
napoléoniennes : Les croix de guerre, blasons, la croix
double de Lorraine, les armes (épées, fusils,
mitrailleuses), les rameaux d'olivier, les feuilles de chêne.
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Croix
de guerre française ( Les Chauffours
) |
Croix
de guerre allemande |
Croix
de guerre française (PC Reboul) |
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Cor
et laurier (creute des chasseurs alpin) |
Ancre
avec sa corde , symbole de la marine . |
La
feuille de laurier associée aux honneurs. |
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Représentations religieuses
:
La
religion est également un thème très
abordé. On peut concevoir que ces hommes, vivant les
horreurs de la guerre au quotidien, aient besoin de pouvoir
se raccrocher à un être supérieur. D'autre
part, à l'époque le nombre de pratiquants étaient
bien plus élevé qu'aujourd'hui. Les
représentations religieuses, souvent sous forme de
sculptures, sont d'ordre symbolique : des croix, des anges,
la colombe...etc.
Bien que les soldats français fussent majoritairement
catholiques, il ne faut pas oublier les très nombreux
bataillons de Zouaves, originaires de nos anciennes colonies
(Essentiellement Sénégal, Maroc et Algérie),
qui étaient musulmans. On retrouve régulièrement
le croissant de lune symbole musulman que l'on retrouve en
haut des mosquées. Notons également la présence
de quelques étoiles de David, liées à
la religion juive.
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Croissant
musulman et profil d'un zouave.
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Croix
et prêtre en soutane |
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Le
poisson symbole religieux chrétien.
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Ange
(carrière Chauffours) |
Petite
croix gravée |
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Représentations féminines
:
Un
autre thème développé est la femme. Ces
soldats vont, pour la plupart rester des années à
la guerre. Les permissions sont rares et les lettres le plus
souvent perdues ou censurées. Les hommes mariés
se retrouvent donc coupés totalement de leur famille
et de leur femme. Certains vont alors représenter
leurs compagnes dans les parois des creutes.
D'autre
part, ces hommes vivent dans un univers exclusivement masculin
et le manque des femmes se fait sentir fortement. La représentation
de la femme d'ordre symbolique est donc un
élément redondant des œuvres sculptées
dans ces creutes. Ces représentations féminines
sont parfois connotées sexuellement, ou de façon
idyllique plutôt de l'ordre fantasmagorique. La sculpture
intitulée par son auteur le "rêve du poilu"
traduit tout à fait cette idée. Les représentations
symboliques de la femme, comme la "Marianne", sont
également très présentes.
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Bas
relief des "parisiennes" signé Charnais
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Femme
en bas relief sculptée dans un médaillon |
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Bas
relief de femme |
Femme
apparaissant dans le fumée d'une pipe |
Baigneuse
sculptée au bord d'un bassin. |
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Le
rêve du poilu de José BES, sculpté
en 1916 (photo Pouach) |
Femme
en culotte dans une position érotique |
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Représentations patriotiques
:
Un
dernier thème est celui des références
à sa patrie. Les symboles des différents
pays impliqués dans le conflit sont présents
en fonction des occupations des creutes. On peut trouver dans
une même creute les traces du passage de plusieurs nations
(Américains, Français, Allemands, Algériens
...). Ces sculptures traduisent la propagande patriotique
entretenue par les pays afin de maintenir le moral des troupes
de cette guerre meurtrière. Ces représentations
traduisent également pour les soldats loin de chez
eux, la nostalgie de leur pays et le désir de "retourner
au pays".
Selon
les pays, les symboliques varient et sont intimement liées
à la culture populaire :
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Les
français représentent souvent
les symboles liés à la république
: la semeuse, la Marianne, le drapeau et parfois des
monuments. Parmi eux les zouaves n'ont laissés
que peu de connotations liés à leur pays
d'origine, mis à part leur religion. |
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Blason
du Reich (noir, blanc et rouge) |
Blason
français rehaussé de la cocarde.
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La
Marianne avec son bonnet phrygien. |
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La
semeuse présente sur les francs de l'époque.
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Représentations
de monnaies françaises (un napoléon III
et un franc) |
Les allemands représentent l'aigle
impérial, les croix allemandes. Les gravures
en lettres gothiques signent également leur passage.
Il faut cependant noter que les traces artistiques allemandes
sont beaucoup moins nombreuses que celles laissées
par les autres pays. Cela traduit visiblement la légendaire
"rigueur allemande" qui laisse moins libre
cours à libre l'expression au sein des régiments.
Un autre facteur a contribué à rendre
ce témoignage moins nombreux. En effet après
guerre de les français ont cherché à
effacer toutes traces du passage allemand jusqu'au plus
profond des carrières. Il n'est pas rare de trouver
des écritures gothiques ou des aigles impériaux
burinés. |
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Aigle
impérial allemand (Creute Saint-Martin)
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Ecriture
gothique burinée
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Aigle
rouge de Brandebourgeois devise du 12e grenadier allemand
(les 5 piliers) |
Formule
de Bismarck écrite en gothique "Nous,
allemands, ne craignons rien au monde, sauf Dieu"
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Les américains, plus nombreux que les
livres d'histoire ne le disent, on laissé des drapeaux
américainq, des ferrys illustrant leur traversée,
et des héros nationaux comme Buffalo Bill. Les
minorités indiennes ont également laissé
des visages d'indiens avec leurs coiffes de plumes.
A l'opposé des allemands, les soldats américains
ont parfois laissé un grand nombre de traces
rupestres, alors que leur cantonnement était
de quelques semaines. Cela traduit déjà
le libéralisme propre à ce pays. |
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Dessin
de Buffalo Bill
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Soldat
américain avec un drapeau dans la tête |
Obélisque
sculpté par un américain |
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La
France enchaînée (symbolisée par
la Marianne) libérée
par les E.U (symbolisée par le drapeau) et
l'Allemagne (symbolisée par un personnage de
dos au dessus du Rhin)
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Bas
relief d'un indien avec sa coiffe de plumes. |
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Articles
complémentaires :
"Inscriptions
souterraines relatives à la 1ère guerre mondiale"
Gilles Thomas - Archéologia N°394 (Nov. 2002)
"Les
américains au Chemin des Dames "(Graffitis des
creutes) Extrait lettre du chemin des dames N°13 (Juin 2008)
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